La police constitue au sein de nos sociétés un organe de régulation indispensable. Au fil des siècles elle a su s’organiser en filières spécialisées et s’est adaptée aux exigences du principe de séparation des pouvoirs, pilier de notre démocratie.
Pourtant, on constate une volonté permanente des pouvoirs successifs de s’inféoder de plus en plus profondément la force publique voire de la transformer en véritable garde prétorienne du régime.

EMPILEMENT DE RÉFORMES

Les Lois « Pasqua » de 1995 avaient déjà modifié cet équilibre notamment en instituant la polyvalence des personnels et en banalisant la fonction d’officier de Police judiciaire qui est désormais attribuée tant aux personnels du corps de maîtrise et d’encadrement qu’aux officiers et commissaires. C’est à ce qui reste de spécialisation que s’attaque M. Darmanin. Dans son rapport annexé à la LOPMI il vise à
supprimer l’ensemble des directions actives de police pour en rassembler les personnels au sein d’une Direction départementale de la police nationale regroupant les diverses spécialités sous la férule d’un directeur départemental placé sous l’autorité du Préfet.
Ainsi les officiers de Police judiciaire se retrouveront de fait placés sous l’autorité du Préfet tandis que le contrôle et le pouvoir de direction des magistrats du Parquet s’amoindriront. 

En effet, considérant la situation hiérarchisée des OPJ, il n’est pas douteux que le côté « administratif (Préfet et hiérarchie, qui fournissent les moyens humains et matériels aux enquêtes)» supplantera sans difficulté le côté «judiciaire (magistrats) » portant ainsi une atteinte fondamentale au principe de séparation des pouvoirs les OPJ. se trouvant alors aux ordres de l’exécutif dans leur exercice judiciaire.

Rappelons que l’officier de police judiciaire, dûment habilité par le Parquet, dispose de pouvoirs lui permettant de prendre des mesures privatives de liberté (garde à vue) et des mesures attentatoires à l’inviolabilité du domicile (perquisition) dans les cas de flagrant délit ou d’exécution de commission rogatoire.
Il va de soi que le contrôle et la direction de l’exercice de ces droits attentatoires aux libertés fondamentales ne sauraient en aucun cas être laissés aux mains du pouvoir politique mais devront rester l’apanage du magistrat judiciaire.

UNE ATTAQUE CONTRE LA PJ

Face à un tel danger, la question du rattachement de la Police Judiciaire à la Justice se pose avec acuité.
Cette départementalisation portera aussi au plan opérationnel un coup fatal à la Police judiciaire, police d’investigation luttant contre la grande délinquance (homicides, viols, mineurs auteurs, etc), la criminalité organisée (grand banditisme, délinquance financière, trafic de stupéfiants, etc).
Seule l’existence d’une police judiciaire spécialisée, disposant de moyens en personnels, de disponibilité en termes de temps, et de la faculté d’opérer sur tout le territoire voire à l’étranger ainsi que de contacts étroits avec les magistrats concernés est à même de garantir une lutte efficace contre la grande délinquance.
La police judiciaire a actuellement des résultats tout à fait honorables mais on conçoit que son mode opérationnel se révélera vite incompatible avec la politique du chiffre en vogue au ministère de l’intérieur !
Cette volonté de créer des DDPN cache aussi des aspirations inavouées, évoquées en son temps par le ministre Pasqua.
Celui-ci préconisait l’éclatement des missions de la police nationale au profit de polices localisées (polices municipales) et d’officines privées. L’idée d’une police départementale n’était pas non plus écartée, le tout n’excluant pas les transferts de charges vers les collectivités locales.
Dans ce même esprit, on nous avait proposé plus tard de supprimer le juge d’instruction.
L’intention semble claire : l’empilement des ces réformes, sur un modèle américain (structure des polices et structure judiciaire) vise bel et bien à faire basculer à terme notre système pénal, système inquisitoire garantissant le droit de tous, vers un système accusatoire garantissant le droit des plus riches et anéantissant l’indépendance des magistrats du siège.
En quelques lignes dans un simple rapport annexé à LOPMI, le ministre de l’intérieur vise à faire passer la police sous l’unique autorité de l’exécutif, à minimiser jusqu’à disparition son contrôle par le pouvoir judiciaire, et à terme changer fondamentalement notre système pénal.
On ne peut qu’y voir une attaque frontale contre le principe même de séparation des pouvoirs, principe garant de nos libertés fondamentales.