AUDITION COMMISSION DES LOIS A.N.
20 OCTOBRE 2022
DÉCLARATION LIMINAIRE
Les cités antiques ont vite compris la nécessité de disposer tout d’abord d’un organe de régulation politique qui s’est vite révélé insuffisant et s’est transformé en un organe de régulation sociale qui lui-même s’est vite imposé comme indispensable au développement harmonieux des sociétés humaines.
Concernant notre pays, la police s’est tout d’abord organisée au plus près de l’autorité du monarque, par le truchement des intendants disposant de tous les pouvoirs sur les éléments de police dépendant du royaume.
C’est à cause de ces rapprochements qui favorisaient l’arbitraire de l’ancien Régime que la Révolution tiendra à retenir dans l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme la notion d’une force publique au service des citoyens.
Pourtant au fil des siècles les pouvoirs qui se sont succédés n’auront de cesse de chercher à s’accaparer une force publique souhaitée de plus en plus « aux ordres ».
Ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que, face à une vague de criminalité de plus en plus organisée, le pouvoir politique se posera la question de la création d’une véritable police spécialisée.
Ainsi au début du 20ème siècle Clémenceau comprendra la nécessité de la création de brigades spécialisées dans la poursuite de la criminalité organisée, dotées de moyens considérables et travaillant en parfaite symbiose avec les autorités judiciaires, même si les prémices de la Première Guerre Mondiale laisseront apparaître de nouveaux appétits du pouvoir exécutif quant au contrôle de cette nouvelle police judiciaire.
La suite du 20ème siècle ne sera pas épargnée par ces volontés des pouvoirs successifs même si l’on excepte la période troublée de l’Occupation durant la Deuxième Guerre Mondiale.
L’après-guerre et la Vème République verront également les tentations des ministres successifs de s’inféoder la police, au détriment d’une police judiciaire trop proche des magistrats à leur goût.
Un nouveau coup sévère sera donné en 1995 par la réforme dite « des corps et carrières » qui instituera la polyvalence des policiers dans le contexte d’une militarisation larvée de l’institution.
Jusque-là les candidats policiers tentés par la police judiciaire étaient recrutés par un concours spécifique menant à une des filières « en civil » avec les grades tout d’abord d’officier de police adjoint, d’officier de police, d’officier de police principale transformé ensuite en inspecteur de police, inspecteur principal de police et inspecteur divisionnaire de police, le cas des commissaires étant à part.
Tous ces fonctionnaires, fonctionnant à la satisfaction générale dans le cadre d’une filière « police judiciaire » parfaitement définie, et totalement étrangers aux problématiques de ce que l’on appelle maintenant « la sécurité publique » (les corps en tenue) entretenaient des relations étroites avec les magistrats, en particulier du Parquet.
Pour faire valoir les intentions gouvernementales, le ministère met en avant deux arguments : Les économies de gestion et les conflits entre les directions. La Cour des comptes a démontré que mutualisation ne rimait pas toujours avec l’économie, bien au contraire. Pour le gouvernement, des directions uniques, départementales, sous l’autorité omniprésente d’un préfet seront gage d’efficience. Elles revêtiront en réalité, la réduction des moyens, la dilution des compétences par un nivellement vers le bas exigé par un pilotage opérationnel, administratif et politique global, véritable dissolution des compétences ancestrales des brigades de la police judiciaire française, au profit de la Sécurité Publique, elle aussi en difficulté.
C’est à ce qui reste de cette spécialisation que s’attaque M. Darmanin avec cette réforme portant création des Directions Départementales de la Police Nationale. Dans son rapport annexé à la LOPMI il vise à supprimer l’ensemble des directions actives de police pour en rassembler les personnels au sein d’une Direction Départementale de la Police Nationale regroupant les diverses spécialités sous la férule d’un Directeur Départemental placé sous l’autorité du Préfet estimant que l’organisation « en silo » c’est-à-dire par spécialités n’était pas satisfaisante.
Mais une conséquence en sera que les Officier de Police Judiciaire se retrouveront de fait placés sous l’autorité du Préfet tandis que le contrôle et le pouvoir de direction des magistrats du Parquet s’amoindrira.
En effet, considérant la situation hiérarchisée des O.P.J, il n’est pas douteux que le côté « administratif (Préfet et hiérarchie) » supplantera sans difficulté le côté « judiciaire (magistrats) » portant ainsi une atteinte fondamentale au principe de séparation des pouvoirs les O.P.J. se trouvant alors aux ordres de l’exécutif dans leur exercice judiciaire.
Rappelons que l’officier de police judiciaire, dûment habilité par le Parquet, dispose de pouvoirs lui permettant de prendre des mesures privatives de liberté (garde à vue) et des mesures attentatoires à l’inviolabilité du domicile (perquisition) dans les cas de flagrant délit ou d’exécution de commission rogatoire.
Il va de soi que le contrôle et la direction de l’exercice de ces droits attentatoires aux libertés fondamentales ne saurait en aucun cas être laissés aux mains du pouvoir politique mais devront rester l’apanage du magistrat judiciaire.
Face à un tel danger, la question du rattachement de la Police Judiciaire à la Justice devra se poser avec acuité.
Cette départementalisation portera aussi au plan opérationnel un coup fatal à la Police Judiciaire, police d’investigation luttant contre la grande délinquance et la délinquance organisée, la délinquance financière.
Seule l’existence d’une police judiciaire spécialisée, disposant de moyens en personnels, de disponibilité en termes de temps, et de la faculté d’opérer sur tout le territoire voire à l’étranger ainsi que de contacts étroits avec les magistrats concernés est à même de garantir une lutte efficace contre la grande délinquance.
Contrairement à ce que dit le Ministre, la police judiciaire a actuellement des résultats tout à fait honorables qui se comptent en termes de qualité, mais on conçoit que son mode opérationnel se révélera vite incompatible avec la politique du chiffre en vogue au ministère de l’intérieur !
Cette volonté de créer des DDPN cache aussi des aspirations inavouées, évoquées en son temps par le ministre Pasqua.
Celui-ci préconisait l’éclatement des missions de la police nationale au profit de police localisées (polices municipales) et d’officines privées. L’idée d’une police départementale n’était pas non plus exclue, le tout n’excluant pas les transferts de charges vers les collectivités locales.
Dans ce même esprit, on nous avait proposé plus tard de supprimer le juge d’instruction.
L’intention semble claire : l’empilement de ces réformes, sur un modèle américain (structure des polices et structure judiciaire) vise bel et bien à faire basculer à terme notre système pénal, système inquisitoire garantissant le droit de tous, vers un système accusatoire garantissant le droit des plus riches et anéantissant l’indépendance des magistrats du siège.
En quelques lignes dans un simple rapport annexé à LOPMI, le ministre de l’intérieur vise à faire passer la police sous l’unique autorité de l’exécutif, à minimiser jusqu’à disparition son contrôle par le pouvoir judiciaire, et à terme de changer fondamentalement notre système pénal.
Cette réforme des DDPN fait l’unanimité contre elle, policiers, magistrats et avocats réunis.
On ne peut qu’y voir une attaque frontale contre le principe même de séparation des pouvoirs, principe garant de nos libertés fondamentales et contre notre système judiciaire.
Ce qui semble clair, c’est l’intention de la part de l’exécutif d’appliquer à la France toute entière le schéma séculaire de la Préfecture de Police de Paris, avec un « chef » unique et incontournable en la personne du Préfet qui a la main sur les affaires judiciaires, cela pose un sérieux problème de séparation des pouvoirs. A l’heure ou la police judiciaire traverse une crise de vocation et face à une délinquance organisée toujours plus mobile, armée et prompte à la cybercriminalité, il est indispensable de renforcer les effectifs de PJ avec des formations pointues, de meilleures conditions d’exercice plutôt que de lui porter le coup de grâce !
Notre organisation vous l’aurez compris s’oppose à cette réforme bâclée qui borne ses limites à l’exercice d’un directeur général de la Police Nationale esseulé en fin de carrière. Elle demande l’ouverture d’états généraux de la police judiciaire auxquels seraient associés l’ensemble des acteurs du monde judiciaire, magistrats et enquêteurs de tous grades et de toutes conditions et plus globalement à la représentation nationale qui mérite mieux qu’un projet réducteur qui ne contribuera qu’à altérer davantage la confiance des français.
Merci pour votre écoute.
CGT-Police
19/10/2022