Reproduction d'un article du blog d'Anthony Caillé

C’est au prix d’une redéfinition cohérente des missions de la police, d’une remise à plat de l’organisation actuelle et de la formation ainsi que de la fourniture des moyens humains, matériels et financiers nécessaires, que la police nationale pourra regagner ses lettres de noblesse. Pour cette refonte, Il faut se pencher sur la notion de service public de la police nationale. Analyse.

Cette réflexion a pour objet de se pencher sur la notion de service public, sa définition et ses problèmes.

Je formulerai également quelques propositions visant à l’amélioration du service public de police nationale.

C’est tout d’abord l’analyse de la juxtaposition des termes « service public » et « police » qui retiendra notre attention.

Cette analyse ne se révélera toutefois pas aussi simple qu’il y paraît.

Elle nous amènera en effet à considérer voire à confronter des notions parfois antithétiques, soit en apparence soit en réalité.

Cela résulte du fait que l’histoire de la police en France s’est construite de façon singulière.

Contrairement à ce qui a pu se passer dans les pays anglo-saxons ou germaniques, elle s’est instaurée sous l’autorité du monarque, c’est-à-dire sur l’ensemble du territoire et en tout lieu, en créant une institution chargée de veiller aux intérêts collectifs des administrés, de la population, en faisant régner l’ordre dans tous les domaines.

Ainsi, la notion de police recouvrait un spectre très large d’activités, le maintien de l’ordre proprement dit restant davantage aux mains des militaires.

Au XVIIe siècle (ordonnance de 1669), la police avait pour mission d’assurer le repos public et celui des particuliers, à procurer l’abondance, et à faire vivre chacun suivant sa condition.

Une première esquisse se dessine donc, nous amenant à considérer que la police est non seulement un service public, la notion étant conçue au sens large, mais aussi et surtout un organisme d’Etat dont la mission est avant tout de garantir les intérêts et le droit à la sécurité des populations.

Cette conception idyllique n’a cependant pas résisté aux aléas de l’Histoire.

Ainsi, atténuant par-là même les conceptions de Tocqueville en ce qui concerne la notion de police, lequel la reliait directement à un idéal de justice, Albert Camus pressentira dans les Justes que la police peut devenir un instrument entre les mains des pouvoirs : « On commence par vouloir la justice ; on finit par organiser la police. »

Les périodes récentes (essentiellement les XXe et XXIe siècles) ont ainsi vu se développer un paradigme nouveau, consécutif à la volonté des gouvernements successifs d’utiliser la police à des fins politiques. Ce paradigme est celui d’une police soumise à la politique, celui d’une police au service des pouvoirs.

Cette relation entre police et politique constitue une des principales pathologies dans le fonctionnement de la police nationale.

On ne peut douter que l’insécurité est devenue une préoccupation majeure des citoyens tant en milieu urbain qu’en milieu rural. La sécurité, censée être assurée par la police, devient dès lors un enjeu national.

Pourtant, force est de constater que le « sentiment d’insécurité » dans le pays ne fait que croître.

Cela est lié au fait que si la police, dans sa conception actuelle, ne peut fonctionner de façon satisfaisante, elle est aussi handicapée par des structures fonctionnelles, des formes organisationnelles et une formation des personnels tout à fait insatisfaisantes.

Devant un tel état de fait, on aurait pu légitimement attendre que les pouvoirs successifs prennent ce chantier en main et prennent toute mesure visant à la mise en place d’une police efficace et démocratique dotée des moyens utiles à son fonctionnement et placée au service des citoyens.

Il n’en a rien été.

Au lieu de cela, des réformes néfastes se sont succédé. Les RGPP, les LOPSI, les MAP, etc., ont ruiné une police qui ne survit plus aujourd’hui que grâce à la bonne volonté de fonctionnaires opiniâtres mais décriés qui s’obstinent à « faire tourner la boutique » avec les faibles moyens dont ils disposent.

Alors, face à la fois aux carences de tous ordres et à l’omniprésence de l’Etat, peut-on encore dire aujourd’hui que la police nationale – même s’il n’est pas discutable que le domaine reste de ceux que l’on dit régaliens – constitue un service public ?

Y répondre par l’affirmative serait oublier que, d’une part, on lui a substitué, au fil des années et des réformes, des « remplaçants » situés hors fonction publique de l’Etat. On pensera en particulier aux polices municipales.

Celles-ci sont en compétition permanente avec la police nationale. De plus, elles agissent sous l’autorité des maires dont les intérêts peuvent se révéler différents de l’intérêt national.

Le seul rempart devant un éventuel absolutisme municipal reste le domaine judiciaire (seule la police nationale et la gendarmerie nationale disposant aujourd’hui d’officiers de police judiciaire).

Les fameuses complémentarités entre la police municipale et la police nationale, tant vantées par les gouvernements successifs, ne sont pourtant qu’exceptionnelles, et les cafouillages en matière de chevauchement des deux institutions sont légion.

L’autre axe concerne les sociétés privées. Elles se sont approprié ou se sont vu attribuer – le tout sur fond de mercantilisme – bien des missions qui relèvent en principe de la police nationale.

Dans de telles conditions, on peut estimer que la police nationale a perdu son caractère de garant universel des intérêts des populations en voyant ses compétences sur le territoire national singulièrement réduites et dispersées.

D’autre part, il nous faut constater que les réformes successives ont de plus en plus profondément inféodé la police nationale au pouvoir politique en place, en particulier en mettant les services de police sous l’autorité directe des préfets, qui sont les représentants de l’Etat dans le département.

On conçoit tout de suite que l’institution n’est plus dès lors amenée à agir pour la protection des intérêts collectifs des administrés, mais uniquement pour l’intérêt politique des pouvoirs en place et que cela est fortement et défavorablement ressenti par les administrés.

Ce fossé est de surcroît creusé encore plus profondément par l’utilisation irraisonnée par les gouvernements de la police dans des opérations de maintien de l’ordre qui ne peuvent que mal tourner du fait de l’emploi massif de fonctionnaires dont ce n’est pas la spécialité.

Une doctrine mal maîtrisée en la matière ne fait qu’aggraver la situation.

Pourtant, les expériences de police de proximité s’étaient révélé fructueuses, tout d’abord en recréant un lien favorable entre administrés et policiers. On avait aussi noté à l’époque une réussite certaine en matière de lutte contre la délinquance locale et les incivilités.

Il a été mis fin à l’expérience d’un trait de plume, sans aucune analyse préalable, avec les conséquences que l’on connaît, en particulier l’augmentation de la délinquance « locale » et l’avènement d’une hostilité, pour ne pas dire plus, déclarée entre police et population.

Quasiment ainsi réduite à son corps défendant au rôle de garde prétorienne des régimes successifs, essentiellement utilisée pour assurer la visibilité de l’Etat dans ce que l’on appelle aujourd’hui les territoires, en mettant « du bleu marine dans la rue », elle a abandonné progressivement un certain nombre de ses missions, et est aujourd’hui quasiment absente de la voie publique.

Le domaine judiciaire, jugé sans utilité politique, mais aussi parfois comme une épine dans le pied des pouvoirs en place, est aujourd’hui réduit à sa plus simple expression.

La conjonction de ces phénomènes fait que, aujourd’hui, la présence de policiers sur le terrain, qui devrait être reçue comme un gage de sécurité, est ressentie par la population comme une agression.

Majoritairement rejetée de façon plus ou moins larvée pour ces motifs par la population, la police n’est dès lors plus à même de remplir sa fonction de protection vis-à-vis des citoyens.

Peut-on encore prétendre qu’elle assure un service public de police ?

Comme on l’a vu, les réformes successives, en particulier celle de 1995 dite « corps et carrières », ont grandement participé à ces glissements et à creuser le fossé entre police et population.

En instituant la polyvalence, en écrasant les corps au profit du corps de masse, et en militarisant l’institution de façon grotesque, dans le cadre de structures de management désuètes, cette réforme a profondément nuit à l’efficacité de l’activité de police.

Les diverses réformes ultérieures (en particulier celle de 1998) ont parachevé l’ouvrage en ne considérant plus qu’une police du quotidien au détriment des polices moins rentables au plan de l’affichage politique (police judiciaire, renseignement généraux).

Il n’est pas contestable à notre sens que le droit à la sécurité, et pour être plus précis le droit à la sûreté, sont des droits fondamentaux, consacrés par le droit objectif et dont tout citoyen doit pouvoir bénéficier grâce à l’activité d’un service de police nationale moderne, adapté et fonctionnel, dans le cadre d’un grand service public de police nationale au service de la population.

C’est pourquoi nous nous prononçons depuis longtemps pour l’engagement d’une réflexion approfondie sur la redéfinition des missions de la police nationale et sur son organisation.

Dans cet esprit, il conviendra tout d’abord de rendre à la police nationale son caractère, en particulier géographiquement « universel ».

Il faut aussi pour cela tendre à la mise en place d’un unique service public de police nationale répondant aux besoins des citoyens.

Dans la configuration actuelle, du fait de son rattachement fonctionnel au ministère de l’Intérieur, l’intégration de la gendarmerie nationale dans un tel dispositif ne devrait pas poser de problèmes insurmontables, sans pour autant que les gendarmes perdent leur identité.

Les polices municipales, qui tournent de plus en plus souvent à la « milice locale » ou à la « police du maire », comme l’ont démontré par exemple les dysfonctionnements du dispositif conjoint lors de l’attentat de Nice, pourraient fort bien voir ses personnels intégrés dans la police nationale, dans des conditions qui restent à fixer.

L’activité des sociétés privées devrait se limiter strictement aux interventions en secteur privé, sous réserve de la compétence de la police nationale dans des cas déterminés par la loi.

Dans notre conception, une priorité doit être donnée à la création d’une police de proximité et de quartier, dont la mission principale doit être la dissuasion avant la répression, même si cette dernière doit être prise en considération.

Il faudra pour cela se débarrasser des vieilles habitudes en matière de statistiques et d’appréciation des services.

En effet, il est constant que l’estimation de l’efficacité des services de police repose aujourd’hui sur la prise en compte du chiffre de gardes à vue du service.

Dans cette conception, plus il y a de gardes à vue, plus le service est estimé efficace.

Cela est sans doute vrai en matière de réussite d’enquête.

Mais cela signifie aussi que le service concerné s’est révélé totalement incapable d’empêcher la commission des crimes et des délits poursuivis.

Demandons aux justiciables s’ils préfèrent être cambriolés et voir le responsable interpellé, ou s’ils préfèrent ne pas être cambriolés du tout ? La réponse sera sans nul doute éclairante.

La dissuasion se révèle donc indispensable.

Une autre pathologie doit aussi selon nous être prise en considération.

Elle réside dans l’existence d’une formation initiale trop éloignée des réalités, trop textuelle et trop courte, et d’une formation continue pratiquement inexistante.

Il convient de mettre en place un nouveau cursus de formation, remanié, adapté au monde moderne et intégrant une composante psychologique dans le but de réduire l’asymétrie de la relation entre le policier et l’administré.

Nous avons déjà à ce propos fait des propositions.

Notons que nous sommes confrontés de nos jours à une véritable averse législative. Les textes, parfois redondants, parfois contradictoires, s’empilent, compliquant la tâche des policiers.

Ces textes, majoritairement répressifs, viennent abonder un arsenal juridique aussi inextricable qu’incompréhensible.

Ces dispositions répressives, pour la plupart prises sous l’effet de l’émotion consécutive à tel ou tel événement, revêtent par-là même un caractère clairement politique sans, le plus souvent, apporter de plus-value réelle pour l’activité de police.

Cet état de fait conforte la population dans l’idée que la police n’est plus le service public souhaité, mais l’instrument de l’Etat pour appliquer ses textes répressifs.

L’organisation structurelle de la police nationale doit faire l’objet d’une refonte, en particulier pour assurer le rapprochement entre la police et la population, par exemple en assurant une distinction nettement visible entre les forces de maintien de l’ordre et les forces de police localisées.

Il est nécessaire de redéfinir les filières, c’est-à-dire les spécialités (police de terrain, police judiciaire, renseignement).

Par ailleurs, pour qu’un service public de police soit de qualité, il est indispensable que les fonctionnaires de police soient à leur place au sein de ces services publics et disposent des qualifications nécessaires à leur activité.

C’est donc au prix d’une redéfinition cohérente des missions de la police selon la spécialisation, d’une remise à plat de l’organisation actuelle et de la formation, d’une révision des dispositions de la réforme Pasqua ainsi que de la fourniture des moyens humains, matériels et financiers nécessaires, que la police nationale pourra regagner ses lettres de noblesse au sein de la population et redevenir le grand service public de police nationale au service des citoyens que nous souhaitons et dont la France a besoin.