LE PROJET DE CRÉATION DES DIRECTIONS DÉPARTEMENTALES DE LA POLICE NATIONALE (DDPN) ENTÉRINE LA MISE SOUS COUPE RÉGLÉE DE LA POLICE JUDICIAIRE

Le Chef de l’État à confié à son Ministre de l’intérieur la restruc- turation de la Police Nationale au travers de la création de Directions Départementales de la Police Nationale (DDPN) regroupant localement sous un commandement unique, la Sécurité Publique, la Police Aux Frontières, le renseignement et la Police Judiciaire. Cette réforme prise unilatéralement a déjà été testée depuis le 1er janvier 2021 dans 3, puis 8 départements pilotes. Les policiers de tous grades qui la subissent la décrivent unanimement comme une véritable entreprise de démolition de la PJ. Elle ravive le souvenir de la création des DDPN des années 1990, chantier qui s’acheva par un fiasco remarquable, un abandon rapide et coûteux.

Cette nouvelle réforme préfigure la dégradation des conditions de travail, de la qualité de l’exercice judiciaire sous contrôle exclusif des magistrats et donc du service public de la justice au travers du travail de l’investigation.

Pour faire valoir les intentions gouvernementales, le ministère met en avant deux arguments :

Les économies de gestion et les conflits entre les directions. La Cour des comptes a démontré que mutualisation ne rimait pas toujours avec l’économie, bien au contraire. Pour le gouvernement, des directions uniques, départementales, sous l’autorité omniprésente d’un préfet seront gage d’efficience. Elles revêtiront en réalité, la réduction des moyens, la dilution des compétences par un nivellement vers le bas exigé par un pilotage opérationnel, administratif et politique global, véritable dissolution des compé- tences ancestrales des brigades de la police judiciaire française, au profit de la Sécurité Publique, elle aussi en difficulté.

Le fait que le préfet, autorité civile sans la moindre compétence judiciaire, soit placé dans une situation d’« ultra-directeur » nous laisse craindre un risque majeur en matière d’atteinte au secret de l’enquête, de l’instruction et des priorités d’investigation. En effet, comment ne pas supposer que l’appareil d’État pourrait ainsi intervenir à sa guise dans les enquêtes, notamment celles qui portent sur des dossiers économiques ou financiers et éventuellement à connotation politique.

Concernant la légendaire « guerre des services » il est surprenant que la gendarmerie échappe à cette réforme, on peut donc s’inter- roger sur cette différence de traitement et sur la pertinence de museler les OPJ de la police. Les CRS ne tombent pas non plus sous la coupe de la DDPN. Comment expliquer cette différence de traitement qui se fait quasi exclusivement au détriment des grandes brigades judiciaires spécialisées ?

Ce qui semble clair, c’est l’intention de la part de l’exécutif d’appliquer à la France toute entière le schéma séculaire de la Préfecture de Police de Paris, avec un « chef » unique et incontournable en la personne du Préfet qui a la main sur les affaires judiciaires, cela pose un sérieux problème de séparation des pouvoirs. A l’heure ou la police judiciaire traverse une crise de vocation et face à une délinquance organisée toujours plus mobile, armée et prompte à la cybercriminalité, il est indispensable de renforcer les effectifs de PJ avec des formations pointues, de meilleures conditions d’exercice plutôt que de lui porter le coup de grâce !

Il est à noter que ce 15 juillet 2022, l’Association Française de Magistrats Instructeurs publiait un communiqué intitulé : reforme de la police nationale : la fin annoncée de la police judiciaire – les magistrats sont bien évidement concernés et particulièrement inquiets face à la perspective de perdre une partie de leurs outils d’investigation de terrain. A la même date, la Conférence Nationale des Procureurs de la République adressait un courrier au Garde des Sceaux, lui faisant part de leur plus vives inquiétude face à la réorganisation de la police nationale, concluant ainsi : Vous l’aurez compris à la lecture de ce trop long catalogue d’interrogations, sans doute non exhaustif, la Conférence nationale des procureurs de la République s’interroge et s’inquiète… Notre conférence est parfaitement consciente de la nécessité d’une réforme profonde de la Police Nationale compte tenu notamment des graves difficultés auxquelles les parquets sont quotidiennement confrontés du fait des stocks de procédures non traitées qui ne cessent de s’accumuler dans les unités.

Pour autant, l’annonce précipitée d’une entrée en vigueur rapide de cette réforme telle qu’elle est présentée nous semble parti- culièrement déraisonnable. La succession de projets parfois contradictoires, l’absence de prise en compte des retours d’expérimentation, de structures non encore définies, et les incompréhensions manifestées localement par de nombreux chefs de services de la police, démontrent que cette réforme n’est pas prête, particulièrement pour ce qui concerne la filière judiciaire.

La CGT-INTERIEUR Police s’oppose à cette réforme bâclée qui borne ses limites à l’exercice d’un directeur général de la Police Nationale esseulé en fin de carrière. Elle demande l’ouverture d’états généraux de la police judiciaire auxquels seraient associés l’ensemble des acteurs du monde judiciaire, magistrats et enquêteurs de tous grades et de toutes conditions et plus globalement à la représentation nationale qui mérite mieux qu’un projet réducteur qui ne contribuera qu’à altérer davantage la confiance des français.

Les démarches individuelles n’ont aucun effet, la stigmatisation de la magistrature est une ineptie. C’est ensemble que nous allons éviter la mise à l’encan de la police judiciaire indépendante et Républicaine.

C’est solidairement que nous allons éveiller les consciences afin de mettre le judiciaire à l’abri en l’éloignant des intérêts ultra-libéralistes qui ont besoin d’avoir les mains libres pour continuer la funeste destruction de nos institutions.